Jeudi 07 octobre 2004
Pique-nique à Titoula
Passage du col de Tizi n Telouet
Bivouac près de Telouet (1853 m)
C'est la "grosse journée", comme il en faut une dans chaque raid. Nous allons "avaler" 1000 m de dénivelé, avant de redescendre vers Telouet.
Mais nous ne sommes pas encore partis : voilà que le camion de l'assistance s'est embourbé en voulant quitter les lieux et Abdou descend filer un coup de main.
A l'attaque ! Il est 8h, le soleil brille, et ça grimpe sec ! Un sentier caillouteux où nos chevaux posent leurs sabots sans hésitation. Sauf Cheb qui, soudain, dérape et se retrouve sur les genoux, mais se relève bien vite et sans mal, d'un grand coup d'encolure. Il n'a pas prix son café ce matin le petit étalon arabe ?
Nous montons, à flanc de montagne, croisant ça et là quelques mules. Arrivés dans les hauteurs, le vent souffle de plus en plus fort, on arrime chapeaux et chechs, on sent les chevaux lutter contre d'invisible forces perpendiculaires. Frisson ! L'équilibre est soudain précaire, même sur quatre pieds et 350 kilos. On doit crier pour s'entendre.
Puis au détour d'une montagne, la paix, le silence& virage suivant, ça recommence.
La végétation qui pousse sur ces pentes a pris des formes contrariées, malmenée par les vents violents.
Toujours plus haut. Une vue superbe, c'est la pause photo. Ciel bleu et pur, aucun nuage. A nos pieds, des bouquets de sentoline, qui sentent fort. Plus loin, des pierres vertes révèlent une mine de cuivre dont nous avons emprunté la piste par erreur. Qu'à cela ne tienne, Nicole et Albinos coupent à travers le maquis pour récupérer le bon chemin. Nous suivons, couchés en arrière pour suivre l'inclinaison de la pente, rênes longues, juste le bon contact avec le mors, pour garder l'équilibre de nos montures. Il vaut mieux les laisser faire et, comme dit Abdou, ne pas regarder où son cheval met les pieds, sinon on se penche et on change son équilibre.
Qu'ils sont drôles nos chevaux quand ils descendent un talus, les postérieurs ramenés sous le ventre, comme s'ils descendaient sur les fesses ! Et quand il examinent le sol à la recherche de la bonne pierre où poser le pied. Certains descendent comme des brutes, d'autres prennent leur temps et mille précautions.

Nous passons sur des sentiers muletiers, attention au vertige, parfois le sillon à flanc de ravin laisse juste la place pour deux sabots& Un peu plus loin, galop étonnant au milieu de roches grises, sur un sol de sable, façon Fontainebleau.
Des bergeries, superbes bâtisses, et les petites formes colorées dans l'embrasure de la porte, quasi immobiles, qui ne réagissent pas à nos signes de la main : ici, le tourisme n'a pas encore fait ses ravages.
Des lézards aux couleurs vives font des éclairs sur les roches.
Nous redescendons dans une vallée, des cultures en terrasse habillent la montagne de formes géométriques en camaïeu de verts, avec les villages rouges sur fond rouge. Le vent souffle si fort, que nous craignons de tomber, mais nous arrivons dans le lit de l'oued sans encombres.
Certains d'entre nous ont une bonne migraine, avec ce vent et le soleil qui cogne. Heureusement c'est bientôt la pause déjeuner : il est à peine 11h mais comme nous sommes partis à 8h&
Aux abords de notre halte, nous dépassons un curieux viaduc miniature, sorte de canalisation suspendue dans le vide, qui fait passer l'eau au-dessus d'un ravin.
Nous voici à côté du village de Titoula (1950 m). Nous attachons nos chevaux dans la verdure, sous les noyers, qui forment un hâvre ombragé au bord de l'oued fort large& mais où ne coule qu'une petite rivière.
Nous étalons la couverture au milieu des moutons et des chèvres, et des petites vaches rousses gardées par une jeune berbère timide mais joueuse. Elle ne cesse de nous observer à distance respectable, comme les habitants du villages réunis sous les noyers.
Les chèvres se régalent de nos pelures d'orange, les vaches s'approchent de nos chevaux mais pas trop près, car la réaction est immédiate (à ce sujet, Tag a déjà attrapé une chèvre avec ses dents et l'a lancée plus loin, lors d'une randonnée précédente; la chèvre avait tenté de manger son orge !)
Abdou ne dort que d'un Sil : des enfants taquins entourent Khafif, et s'enhardissent de minute en minute& il ne faudrait pas qu'ils l'asticotent de trop près : le jeune cheval est imprévisible, il pince (mord) et se cabre à la première occasion.
C'est déjà la fin de la sieste et on rattache lacets et mini chaps. Le groupe se rassemble à la rivière, ou nous laissons boire nos chevaux. Certains n'ont pas soif, Abdou fait un petit sifflement qui doit déclencher l'envie de boire.
Traversée du village de Titoula, suivis par des enfants, comme toujours.
Nous nous dirigeons maintenant vers le col de Telouet. Nous sommes partis tôt, car le temps va se gâter en fin d'après-midi et nous voulons éviter la douche. Le col de Telouet, "Tizi n Telouet" en berbère, est repérable aux pylônes électriques immenses dont il est coiffé. Et pour l'instant, il est encore bien loin !
Comme le vent se lève et que le ciel s'obscurcit à droite, nous accélérons et galopons jusqu'à un village que nous traversons à petites foulées. Mais à la sortie du village, Abdou nous ordonne brusquement l'arrêt : un petit chevreau, encore bébé, nous suit à petits sauts incroyablement rapides. Au milieu du groupe, il risque de se faire aplatir comme une crêpe, et Abdou met pied à terre pour l'attraper. Séance de poursuite digne d'un film muet, le petit chevreau est vif. Abdou finit par l'avoir et le met avec précautions dans les bras d'une femme.
Plus loin, nous croisons une bergère avec des chèvres, qui se rangent sur notre passage.
Nous approchons le sommet par une lente ascension, comme ces "faux plats" qui donnent tant de mal aux cyclistes. Des écoles, plus petites les unes que les autres (parfois un abri à peine aménagé mais repérable à la carte du Maghreb peinte sur la façade), il y en a dans chaque village, c'est étonnant.
Les nuages qui se sont amassés sur notre droite, au-dessus des montagnes, nous font maintenant la grimace. Grondement d'orage. On va finir par l'avoir, cette chta (pluie) ! Abdou nous précise en effet que, pas de chance, les nuages vont au même endroit que nous.
Le vent se lève, tiens, une goutte& on sort les capes et impers. Au passage, Al Pacino fait son cirque, comme chaque fois qu'un blouson claque au vent, d'autant que celui-ci est bleu ciel, un beau contraste pour ses gros yeux affolés. Abdou est obligé de le tenir tandis que Nichola finit de s'emmitoufler. Juste à temps : il pleut un peu plus fort.
Nous grimpons le long de la ligne électrique vers le col. C'est comme un rail !
La terre change de couleur, rouge, puis grise, avec de l'herbe, des roches épaisses entre lesquelles des milliers de mules ont tracé un chemin bien visible. Nos chevaux résistent aux bourrasques de vent. On mettrait bien le nez dans la crinière pour se protéger.
C'est la piste des caravaniers, combien de nomades l'ont empruntée dans les deux sens, pour rallier Marrakech à Tombouctou ? Et avec de la marchandise.
Le Haut Atlas est terre d'humilité. Se croit-on seul au passage d'un col ? Des petits bergers descendent pieds nus, en courant dans la caillasse. Expérience mille fois vécue par les aventuriers de ces jbels&
Aujourd'hui, à quelques centaines de mètres du col de Telouet, alors que nous abordons, couchés sur les encolures tendues par l'effort et couverts jusqu'aux yeux de matières high-tech, la dernière ligne droite, nous croisons, descendant tranquillement en sens inverse, un groupe d'hommes avec leurs mules. Pieds et sabots dérapent à peine sur cette pente raide de petits cailloux anthracite. Habillés légèrement, chaussés d'un rien, ils nous saluent de la main tandis que nous prenons à peine le temps de les regarder, trop préoccupés par l'ascension, la pluie, et les réactions intempestives de Khafif et Al Pacino à l'approche des cousines mules au parfum (sans doute) envoûtant.
Derniers virages avant le col. Ce qui est drôle quand ça grimpe et que ça tourne en même temps, c'est qu'on se croise, et qu'on a l'occasion de bien regarder la position des chevaux qui précèdent, poussant sur leurs postérieurs, tractant leurs 350 kilos "+60" à la force de l'encolure. Les cavaliers en suspension sur leurs étriers, forçant sur les chevilles. Et derrière nous, le vertige du chemin parcouru, toute la vallée, puis l'ascension&
Le col. On souffle. Un arc-en-ciel sur fond de nuages gris. Le vent se fait plus froid et plus fort. Nous nous dirigeons vers l'autre côté du col quand, surgie de nulle part, une averse puissante et épaisse nous gifle en pleine face. Les chevaux se tournent automatiquement, queue au vent. Bonne crise de rire. C'est ça, les cols, un temps soupe au lait ! Quelques minutes plus tard c'est terminé, le soleil perce les nuages et nous entamons la descente, direction le ciel bleu. Rapidement nous devons mettre pied à terre car le chemin est mauvais et les chevaux, fatigués de la longue ascension.
Mais voilà, nous sommes beaucoup moins habiles que nos quadrupèdes et c'est tout un art que de descendre dans les cailloux, les graviers qui dérapent, les roches en escalier, les chemins qui tournent entre les grosses pierres et dont on perd vite la trace& tout cela pendant que votre cheval, au bout des rênes, s'impatiente et manque de vous marcher dessus ! parfois il emprunte un chemin différent et vous dépasse, là c'est l'accident, il vous tracte sans ménagement, tandis que vous posez vos pieds précipitamment où bon vous semble. Etrange allure d'araignée humaine, les bras et les jambes écartées, perdant son équilibre à chaque pas& heureusement, vous reprenez les devants non sans fusiller du regard le coupable qui, lui, ne s'est presque aperçu de rien.
On rejoint la tête du groupe, qui faisait une pause un peu plus bas. On remonte à cheval.
Un petit trot un peu serré, et Al Pacino en profite pour envoyer un postérieur vers Cheb, qu'il marque au-dessus du genou d'une belle entaille. Décidément Al Pacino a pris de mauvaises habitudes !
La plaie fait 10 cm de long, et saigne abondamment, mais Cheb ne boite pas. D'ailleurs comme dit Abdou il ne boite jamais quoiqu'il arrive. Ce cheval, qui a 80% de sang arabe, est particulièrement résistant.
Voici la vallée de Telouet. Au loin, notre campement, repérable aux taches blanches : le camion et la tente, sur fond d'herbe verte. Pied à terre. Les chevaux sont contents d'arriver. Il faut patienter, le temps qu'Abdou et Mohcine plantent les piquets qui servent de points d'attache. Comme tous les soirs, ne pas traîner pour enlever la selle, ou votre cheval ne vous attend pas pour se rouler avec délices !
Nous sommes au milieu d'un cirque montagneux, sur un plateau d'herbe rase parsemée par endroits de crottes de moutons. Derrière nous, la barrière de l'Atlas avec le col de Telouet dont nous sommes descendus. De l'autre côté, le village de Telouet, cachée derrière une colline, mais d'où nous parviendront musique et halo de lumière dans la nuit. Ici s'arrêtaient jadis les caravanes.
Un peu après le campement, le sol est lézardé de petits canyons, révélant la terre sous l'herbe verte. Malheureusement ce sont autant de mini décharges : bouteilles plastique, verre brisé, cartons& et preuves que d'autres que nous les ont utilisés comme latrines !
Il fera froid cette nuit. La couche nuageuse s'est enfuie, nous laissant face au froid des étoiles plus nettes que jamais. Et nous sommes à plus de 1800 m ! On se réchauffe en chantant, Abdeslem fait la cuisine tout en donnant de la voix, et nous dansons devant la porte ouverte du camion. Des enfants, qui passaient par là, se sont arrêtés sur le talus en face, et finissent même par s'asseoir pour nous regarder. Ils frappent dans leurs mains et bougent en rythme. Une complicité discrète, à 20 mètres les uns des autres sur ce plateau perdu.
Demain, c'est le jour de repos, nous resterons sur place.