Dimanche 10 octobre 2004
Pique-nique à Tizgui n berda
Bivouac entre Tamdakhte (1333m) et Ait Ben Haddou (1300 m)
La vallée d'Ounila fait 40 km de long. Elle tient son nom de l'Assif Wounila qui la traverse (assif signifie rivière en berbère, en arabe c'est oued.) Nous allons la parcourir toute la journée, par la piste de gauche, vers le Sud.
Cette vallée est un long corridor qui mène de l'Atlas au Grand Sud, vers le Sahara.
A la lumière du jour, un peu couvert, nous comprenons à présent le scepticisme d'Abdou en voyant passer les voitures hier soir : la piste est vraiment mauvaise par endroit, pas toujours large et surtout pleine de bosses et de creux !
Abdou a beau regretter que nous ne profitions pas pleinement du décor à cause des nuages, nous nous régalons quand même. La terre rouge, ocre, jaune, des parois rocheuses, contraste avec le vert intense du fond de la vallée. Les villages, comme sculptés dans la terre où ils se confondent si bien qu'on en cherche les limites exactes, s'animent sur notre passage : des bras s'agitent, de l'autre côté de la vallée, mouvements à peine perceptibles avec la distance. Le jeu dure assez longtemps. Parfois, on nous crie quelque chose, que nous ne comprenons pas.
De notre côté de la vallée, nous passons souvent au-dessus de champs de luzerne, grenadiers, palmiers-dattiers, irrigués de petits canaux où travaillent hommes et femmes.
Quelquefois, on nous interpelle, une grenade à la main, générosité immuable du berbère envers le voyageur. Abdou a déjà reçu ou acheté, comme cela, un bouquet de verveine citronnée, quelques fruits&
Nous traversons des villages, où les enfants nous poursuivent à coup de "Bonbon ! Stylo ! donne-moi un dirham" etc. Véritable baromètre de l'activité touristique, malheureusement, les enfants prennent très vite de mauvaises habitudes. Dans un grand tournant, un motard venant en sens inverse s'arrête pour nous laisser passer, gentil geste, peut-être monte-t-il aussi à cheval, qui sait ?
Tag a repris sa forme olympique, il est étonnant. Par prudence, je ne dois pas le laisser boire trop vite, surtout quand l'eau est froide. Le mieux, c'est de l'interrompre en mettant un doigt à la commissure de la bouche, il relève alors la tête, ouvre la bouche et déglutit plusieurs fois (quand on est à cheval, relever la tête en utilisant les rênes.)
Quelques bons trots et galops en ligne, durant cette matinée. La piste rouge tourne le long de la roche, monte et descend un peu, mais permet tout de même les changements d'allure.
Nous nous arrêtons à un tournant, où le point de vue est si spectaculaire que des locaux ont installé une boutique de fortune, au bord du ravin, avec des objets "spécial touristes", dont pas mal de minéraux sans valeur. Une pause, quelques photos, le temps de se laisser dépasser par des Français en 4x4, puis nous entamons à pieds une longue descente.
La terre est rouge, encore, la piste ingrate. 
En bas, toujours la vallée verdoyante, riche en figuiers, noyers, amandiers, tamaris, peupliers argentés, et cultures de maïs, fèves, luzerne en fleurs.
Parvenus tout en bas, et après un dernier galop endiablé, nous mettons pied à terre près de l'oued Ounila qui ici coule assez bien.
Nous sommes près du village de Tizgui n Barda (qui signifie d'après Abdou la gorge, quelque chose de serré.) Nous attachons les chevaux aux tamaris, et installons le pique-nique sur une butte au-dessus d'eux, en bordure d'un champ de luzerne.
Des enfants arrivent aussitôt, nous vendent des grenades, 5 Dhs les 5. Elles sont acides mais bonnes. Chacun sa technique pour les manger, il y a ceux qui les préparent lentement dans une assiette, et ceux qui les émiettent petit à petit dans le creux de la main, qui fait ensuite catapulte dans la bouche. Dans les deux cas, surtout le deuxième, on en perd pas mal par manque d'entraînement.
Pendant notre pique-nique, les enfants nous proposent encore des grenades, puis vont regarder les chevaux.
Sieste sous les tamaris, Nicole s'est fait un lit avec la selle d'Albinos, près du cheval qui vient régulièrement regarder de près cette drôle de cavalière et fait suffisamment de raffut pour l'empêcher de dormir vraiment. Les enfants cueillent un peu de luzerne et la donnent à Al Pacino, je leur fais "merci", et du coup ils en cueillent encore plus et me la donnent. Je distribue aux chevaux, mais à peine ai-je tourné le dos qu'ils en arrachent une brassée énorme& Et bien sûr, ils finissent par me dire "15 Dirhams".
Vente forcée, mauvaise habitude due au tourisme, sans doute !
Les chevaux attachés aux tamaris sont maintenant tout poisseux, notamment les crins. Ils sont un peu gris, avec des décorations dans la crinière et le toupet. Balade au bord de l'oued, traversée sur les pierres, dans le silence juste ponctué par les passages de 4x4 blancs en meutes, avec les logos des agences sur la portière. Nous imaginons les touristes entassés, secoués comme dans un panier à salade, que voient-ils de ce décor? Sentent-ils les parfums de l'oued, des arbres fruitiers, en-dehors des quelques pauses imposées durant lesquelles ils passent plus de temps à tout filmer et photographier, qu'à regarder vraiment ?
Nous croisons surtout des Français et des Espagnols dans cette vallée; ce sont d'ailleurs, et dans cet ordre, les deux premières nationalités qui visitent le Maroc.
L'après-midi, le décor devient canyons et de grands trots et jolis galops nous emmènent sur les pistes rouges qui serpentent. L'ocre et le jaune succèdent au rouge. Toujours ces écoles peintes avec des personnages de Disney, ou Tintin. Aux abords des vilages, c'est toujours l'effervescence et les cris aigus, sans doute "des chevaux ! des chevaux !" et tous accourent pour nous voir. Les enfants disent bonjour et demandent bonbons et stylos, mais sans insister beaucoup, sans doute parce que nous sommes à cheval et que nous continuons à marcher.
Ici, une auberge "Chez Ahmed", "douches et toilettes" en français et en anglais. Là, des panneaux "Toilettes" et "Parking". Vu le nombre de 4x4 qui passent, c'est logique.
Nous passons à côté de Tamdakhte et sa kasbah magnifique (où ont été tournées des scènes de Gladiator paraît-il) qui date du XIXème siècle. Nous approchons même à cheval dans la cour pour la voir de près. Comme sur beaucoup de kasbahs du Sud, de superbes nids de cigognes ornent les tourelles. De Marrakech à Ouarzazate, la bellarej c'est un peu l'oiseau roi. D'ailleurs le présence des nids sur une maison est considérée de bon augure.
Puis, nous redescendons vers l'oued, en traversant une décharge juste en bas de la kasbah, le sol est jonché de cartons, plastique, verre brisé, attention les pieds !
Vers 16h nous parvenons au point de bivouac en face d'une paroi rocheuse criblée de troglodytes très haut placés. Tandis qu'Abdeslem prépare le couscous, nous profitons d'un coucher de soleil mémorable, qui incendie les canyons tout autour. A la nuit tombée, les étoiles semblent s'être toutes réunies au-dessus de nos têtes, avec la voie lactée en prime.