Samedi 09 octobre 2004
Pique-nique au début de la vallée d'Ounila
Bivouac sous la pluie et dans la boue à Tagendoucht (1520 m)
Journée de pluie. Nous quittons notre bivouac - on aurait presque pris racines !
Sous les nuages, nous traversons plusieurs villages où l'on parle très bien français (tourisme.)
Devant une vieille kasbah, des femmes se cachent en vitesse dès que nous sortons l'appareil pour immortaliser la bâtisse.
Un jeune garçon marche à côté de Farouk, discutant avec Abdou pendant quelques centaines de mètres. Puis Abdou accepte de le laisser monter seul sur Farouk, dont il tient les rênes au début, puis le laisse faire, tout se passe bien. Ici, monter à cheval c'est inné, l'habitude des mules et des ânes sans doute. En tout cas le jeune est fier comme un roi !
Nous arrivons près d'une grande mare où se jette une source, il y a des poissons dedans, depuis longtemps nous dit-on. On se demande comment ils ont arrivés là. Abdou leur jette du pain sec, remous dans l'eau opaque.
Partout, autour de nous, des champs déjà moissonnés, d'autres pas encore, des cultures associées. C'est la saison du maïs, on dirait. Des femmes passent avec des chargements impressionnants de maïs, d'herbes, de branches. Mais malgré la tension de l'effort, elles répondent toujours de la tête à nos bonjours.
Des moutons, des chèvres, des vaches, çà et là.
La vallée que nous venons de rejoindre, après une auberge touristique, forme un joli patchwork de verts et de jaunes : vert intense de la luzerne, vert clair et jaune du maïs, ici les vergers, figuiers et amandiers, noyers& Puis le décor change, nous voilà dans un désert minéral, ce sont des mines de sel.
Sous une pluie légère nous arrivons au point de pique-nique, une forêt clairsemée de jeunes pins, non loin de la route goudronnée. Le camion est là, nous installons la natte au point le plus dense pour bénéficier d'une maigre toiture.
Que c'est curieux de pique-niquer au Maroc en imperméable et en frissonnant !
Nos chevaux ne privent pas de quelques bonnes roulades sur le sol souple. Les voilà camouflés, crinière et queue pleins d'épines hirsutes.
Nous repartons sous la pluie, encore. Cet après-midi nous allons longer la route pendant quelques temps, il n'y a pas d'autre chemin.
Alors que nous marchons dans le lit à sec d'un oued et que nous admirons, perché sur une colline, un agadir parfaitement conservé (grenier à provisions du village, situé sur les hauteurs pour prévenir les attaques), Abdou remarque que quelque chose ne tourne pas rond. Il marche à côté de moi, avec Farouk, nous discutons, mais soudain il se regarde Tag sous toutes les coutures, surtout l'arrière-train. Il a l'air inquiet.
De fait, je me retourne et vois que l'arrière-train de mon cheval est comme crispé.
Bientôt Tag allonge l'encolure jusqu'à avoir le nez au sol, et sa croupe se contracte. Je dois mettre pied à terre, il a manifestement quelque chose.
Effectivement, une fois sans cavalier, Tag cherche absolument à se rouler; ce qu'il ne faut surtout pas le laisser faire, il risque une torsion intestinale (les boyaux des chevaux ne sont pas fixés, ils bougent et peuvent se tordre.)
Voyant que la croupe de Tag est raide, la queue moitié levée et tordue comme s'il allait uriner, Abdou et Nicole pensent à une colique et/ou un problème urinaire. On fait alors une piqûre à Tag (le pauvre, il en a eu des dizaines, dans sa vie de cheval de randonnées!) Puis on le fait marcher, mais il est encore agité, cherche à se rouler.
Abdou décide de me laisser monter Farouk, tandis que lui marchera à pieds avec Tag. Qui ne va pas mieux, il a toujours des sortes de contractions, prend des positions bizarres, rien ne semble vouloir de soulager. Il pleut toujours à petites gouttes, parfois des averses. On se sent trempés jusqu'aux os, brrrrr !!
Nous traversons un village assez touristique (Tioughassine ?) situé sur la route goudronné. C'est le début de la vallée d'Ounila, et les 4x4 occupent les lieux par dizaines.
Enfin le point de bivouac, toujours sous la flotte. La tente est trempée, sauf le toit qui a la bonne idée d'être imperméable. Le sol en terre est devenu gadoue. Nous sommes à Tagendoucht, dans un coude de la vallée, seuls au monde.
Tag est dans un sale état. Il transpire à grosses gouttes, impossible de l'attacher car il va se rouler. Il n'a pas uriné, ni fait de crottin de toute l'après-midi. Lui qui réagit au quart de tour d'habitude, rien ne lui fait de l'effet, ni sentir les crottins des autres, ni respirer l'odeur de Farouk naseau contre naseau, aucune réaction.
Alors pendant deux heures, on se relaie pour le faire marcher.
Une ou deux fois, on ramène le cheval à son point d'attache et on le laisse immobile mais il essaie de se rouler, et finit par réussir. Nous faisons alors tout pour qu'il reste couché, sans se rouler, ce qui lui permettrait de se reposer vraiment, mais non, rien à faire, il tourne, il tourne, on le relève.
Après plusieurs piqûres, des massages, bouchonnages à 8 mains, nous lui improvisons une couverture avec un imperméable et de la paille (il pleut toujours et il fait froid). Rien à faire, il a la tête basse, la bouche grimaçante, les yeux tombants. Cassé, le cheval. Son ventre est gonflé comme un ballon, aucun bruit de quoi que ce soit dedans. On l'a fait marcher, on l'a palpé, ausculté, rassuré, rien à faire. On a même essayé un remède berbère : lui faire renifler du pneu brûlé, qui sent exactement comme une plante du Haut-Atlas. Le bout de pneu, on l'a récupéré au couteau sur un seau à orge (qui sont fait en pneu, on peut lire une partie du mot Michelin dessus !) La plante, il faut l'effriter dans l'eau et faire boire ce breuvage aux chevaux.
Comme la nuit est en train de tomber et qu'on ne veut pas qu'il la passe dans cet état (d'autant que l'empêcher de se rouler signifiait le veiller toute la nuit), Abdou a décidé de le réveiller. Ce cheval, Tag, on le surnomme le sba3, le "lion" entre nous parce que c'est un entier à 200%, dans sa tête c'est lui le chef. Il se cabre, lance les antérieurs, mord, etc.
Alors on le présente à Albinos qui est un sale gosse, et au bout de quelques provocations d'Albinos Tag finit par réagir un peu, l'air de dire "ne me cherche pas trop l'ami, je t'aime bien mais j'ai mes limites." Quelques échanges plus tard Tag est chaud. Là, on l'a amène voir Khafif, le petit nouveau de 4 ans, dont il est très jaloux parce qu'il est devant dans les raids, parfois. Tag, le grand malade du jour, s'est métamorphosé en quelques minutes, là il est comme après 15 jours de repos au pré, vivant, la crinière comme des flammes dansantes, les antérieurs jetés tout droit, debout sur les postérieurs. On lui aurait bien tapé sur l'épaule, eh coco, t'était pas malade par hasard ? ça a dû le distraire, lui changer les idées et réveiller ses hormones&Il a maintenant les yeux grand ouverts, il respire mieux, il se met à bailler. Et quelques minutes après ce combat que nous avons interrompu à temps, Tag va sentir l'urine de Farouk, aspirant à pleins naseaux avec application et là Abdou me dit : "tu vas voir, il va pisser." Paf, 30 secondes plus tard il s'appuie sur les antérieurs, porte son poids en avant, et fait Elvis Presley sur la pointe des postérieurs. La partie est gagnée.
L'équipe se réchauffe sous la tente avec un bon thé. Un vrai soulagement.
Pendant que nous soignions Tag, dehors, nous avons vu passer des 4x4, des Français nous demandant leur route, des Suisses, des Espagnols qui se sont arrêtés pour nous prendre en photo (les chevaux, le campement sans doute ?) Des Français sont passés avec une Clio de location, Abdou a dit qu'ils allaient la tuer car la route, plus loin, est très accidentée. D'ailleurs il ne veut pas que le camion y passe, c'est pour ça que demain nous ferons pique-nique à emporter, et le camion prendra une autre route pour nous rejoindre le soir !